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Langues et Langages

Sur l’autel des usages bannis s’inscrit le long parchemin déshérité, déserté des sens non transfigurés par le tamis des formes inscrites. L’œil vertueux, habillé d’une armure ancillaire soumise à la rhétorique du sens, cherche désespéramment l’encre de ces motifs non encore apparus en maîtres de la certitude. Ces configurations variables aux contours de lignes éployées dessinent le chevauchement des savoirs aux allures de palimpsestes façonnés par le caprice de la nature aléatoire, modulent des sourires esclaves à la gloire d’une nouvelle trace transfigurée, possédée sur le papier, drapée de graphes alignés en ordres à respecter selon le chaotique souvenir de grains de poussières qui, autrefois, étaient de solides édifices de pierres. Ces empreintes scripturales, gravées dans le sillon des traits unaires1, déconstruisent la sourde organisation des énoncés en phonèmes perceptibles lesquels expliquent l’incompréhensible par des arcanes tracés en croisements obligés d’équivalences, de sauts signifiants en marques évaporées où les résidus de la teinture drapée balaient toutes les certitudes en métonymies rythmiques aux sinueuses frontières floues. Elles battent la cadence de pointes métallisées qui indiquent la mesure2 à prendre offrant des corps temporels à la légende des cycles lesquels remplacent les alphabets par des graphes aux surgissements fractals de soirs méconnus où l’espace-temps se dessine comme une vis sans fin, un engrenage cinétique qui se démultiplie en connexions cybernétiques réifiées en allégorithmes3.

Chimère au départ. Puis boucle répétitive. Enfin résonance d’une répétition hypnotique, l’allégorie rythmique de l’algorithme mesure, trace de nouvelles libertés conduites par ces rayures gravées. Elles s’étalent tels de graphiques graphies où la pointe de l’aiguille dépose des signes destinés à la parole. Plaisirs incertains de la répétition qui forme, déforme, forme, déforme un signal afin de générer une autre suggestion du monde jusque-là inconnu : la donnée. L’image de cette nouvelle clairière, fourmillant de savoirs encore non offerts, dévoile un multivers de formes ensoleillées par le temps. La donnée s’écrit avec le temps dans la temporalité. Elles annoncent ce qui existe déjà, mais ne se connaît pas encore. Suivre l’empreinte encore une fois. Suivre le rythme de ces mélopées du passé-à-venir qui s’éloignent en un écho assourdissant pour apparaître comme l’expression mathématisée du maintenant. Ici, aussi, s’évanouit la douce harmonie. Les mélodies bruissantes du temps, de ce fonds diffus perpétuel, battent la mesure telles des pierres juxtaposées dont la note finale marche vers le fracas nuptial d’une nouvelle alliance : la connaissance donnée n’est plus inscription sur une pierre, mais l’expression temporelle même, celle qui se fluidifie à l’aide du diapason graphique dont la tige effilée et la trace encrée façonnent des mélopées inscrites en une symétrie étrange où quelque chose se remplace par autre chose.

La conspiration statistique de traits, repus de leurs formes dispersées non plus en langues, mais en langages de transpositions, afin d’être traduits en langues, constitue la nouvelle acmé de ce qui est à connaître, augmente les engrenages du mécanisme des quasi langues en autant de serviles archets d’une harmonie supposée laquelle glisse malicieusement de transpositions en traductions sans jamais s’arrêter. Ces nouvelles voix remplissent l’espace d’un papier nourri d’un tramage bigarré de signes qui ne sont plus langues, mais demandent à être traduits : ils ne sont plus que langages et transpositions. Telle la flamme, ils brûlent les impressions en multiples draps trop voilés de leurs propres couches pour être lisibles directement. Propulsés aux quatre coins d’une probable traduction, ils recueillent tout, absolument tout : des ondes collectés par des radars aux sentiments humains. Ils recherchent dans la multiplication non plus la forme même de l’ailleurs indicible, mais la détermination volitive qui sous-tend l’expression de la forme humaine cause d’elle-même et de son savoir fondé sur elle-même. Ils chuchotent la transmission de chimères entremetteuses de mouvements inconnus, ils évoluent autour de l’ellipse d’une note qui n’est plus, depuis bien longtemps, un son, mais autre chose. Ces nouveaux totems hérissés de futures babioles sémantiques, forment le soubassement des mondes où notes et voix se confondent.

De ces sols aux sillons trépidants les mesures tracées, figurées, dessinées traversent sans encombre la profusion coagulée des mouvements au moindre tressaillement de l’indication. Elles façonnent des sonorités qui ne peuvent plus s’étendre jusqu’à la matière même du son, mais à la mesure même du nombre. Visions profanées d’un orage de nombres épongé de sa matière. Leurs sèves numériques délavent toute forme textuelle de ses paroles où il ne reste que la profusion du comptage. Des mondes surpris en voix d’imaginations, le compte ploie le visible cliquetis de rouages répétitifs. Ces scansions mécaniques du nombre prennent la paisible place des structures qui s’organisent comme un langage. La fraîcheur de ces tissages humides montés en habits motivés de la répétition fonctionnent au régime de fumées crépitantes qui exigent de l’épaisseur conceptuelle afin de parcourir ce qui est absolument aléatoire comme l’ordre de ce qui est à savoir.

Ce nouvel empire des réalités placées sur le défilement temporel scelle la transposition du sens en une vélocité nulle où tout mouvement s’estompe afin de mieux poursuivre les débuts et les fins afin d’en déduire le but. Ce n’est plus l’ailleurs indicible dont le but est de délivrer le début et la fin. Une évolution qui chemine avec le sens stoppé sur la furtivité d’un réel relatif aux aspirations d’une entité biologique en un instant à peine perceptible qui échappe à l’ailleurs indicible. Il n’est plus une sensation, mais uniquement signification. Il répond aux problèmes de la compréhension par la formulation de langages simples, eux-mêmes emprisonnés dans les traductions de leurs propres transpositions. C’est ainsi que tout s’arrête, ou, plutôt, tout devient acte de répétitions. Le tout que nous attisions dans la solitude du parler s’éparpille en multiples sillons creusés n’importe où par des langages qui se proposent de traduire à notre place. Ils déposent la rare réalité dans le sombre couloir de l’oubli où la poussière et le temps dévorent les pages d’un ancien savoir, celui de la langue qui, par sa beauté trop grande, flétrissait toutes les autres formes qui osaient surgir.

Résurgence extrémiste d’une aspiration dévorante qui avale, avale les ocres crépusculaires de l’écriture. Elle accouche d’une nouvelle structure qui ne sait plus parler, mais fabrique, à la place, un langage supposé savoir : encore et encore le miroir. Plumes. Voiles glissantes. Aspérités. Vers la vérité. Réalités sans contrepoids. La chaleur de ce qui fut parole abandonne le corps. La bougie n’a plus de flamme. Elle n’est que la fraîcheur friable de méthodes et de cathodes reliées entre elles par un circuit qui les transpose en autre chose. Mots, maussades, sans rêves, sans connexions. Ils ne crépitent presque plus. A leurs places, le doux cliquetis4, inlassable, infini, ils se répètent continuellement, sans jamais s’arrêter afin d’interdire toute langue et autoriser tout langage. Ces milliers d’esprits en lecture, écriture, terrés dans un endroit qui secrète du code, attendent patiemment la déliquescence des paroles en archives déchirées regorgeant de vers sacrifiés sur l’autel des chants vitrifiés. Blêmes. Les doigts, devenus les nouvelles bouches, esclaves des codes, chérissent la disparition lacérée de la langue en rayures acérées où elle se dissout sur le papier par l’entremise du programme. Les codes s’échangent dans une enveloppe digitale et prennent la voix de nouveaux oracles annonçant ce qui est déjà là comme quelque chose d’inconnu.

Et, pourtant, pourtant, ils susurrent que la vie de ces nouvelles lettres, qui, pour le moment, ne forment pas encore une langue, mais seulement un langage, sont la potentielle preuve du livre des livres qui surgirait par delà les temps connus et serait à la genèse de tout ce qui est. Survivre au temps de ces signes-motifs nous permettrait de dissoudre les mémoires du passé, affublées autant de légendes que d’espace-temps. Nous y verrions, enfin, la partition de nouvelles clartés apparues, déclinées en histoires précises. Si précises que plus aucune légende ne pourrait s’y immiscer ni aucun chant.

Cette écriture qui n’est pas encore une langue. wikimedia commons, domaine public

  1. Jacques Lacan↩︎

  2. Pour saisir l’impact social et culturel de ces découvertes technologiques qui permirent de voir littéralement l’invisible tout en donnant une nouvelle grille de lecture à l’image, lire l’ouvrage de Monique Sicard : L’année 1895. l’image écartelée entre voir et savoir; aux empêcheurs de penser en rond.↩︎

  3. Concrétion entre algorithme, allégorie et rythme.↩︎

  4. Voir « Planète Interdite »↩︎